La diaspora burundaise : la nouvelle cible du CNDD-FDD ?
Il y a quelques jours quand un de mes amis vivant en Europe m’a appris qu’il y aura bientôt une nouvelle carte diaspora obligatoire pour tout ressortissant burundais faisant partie de la diaspora. Je n’exagère pas quand je dis obligatoire parce que tous les services publics et privés depuis le premier point d’entrée au pays jusqu’au village ne seront plus accessibles qu’aux seules personnes ayant cette carte diaspora.
Ceci émane d´une proposition d´un groupe de burundais acquis aux idéaux du pouvoir actuel qui parlent au nom de la diaspora burundaise. Je me suis alors posé beaucoup de questions sur la légalité, la légitimité de cette carte et comment la diaspora burundaise va réagir face à cette situation et surtout face à cette pseudo diaspora burundaise qui aujourd’hui agit en son nom.
Une carte illégale et qui viole les droits fondamentaux de la diaspora burundaise
Cette carte a pour objectif de recenser tous les membres de la diaspora et couterait 50 dollars américains avec une validité d’un an. Cette carte est non seulement illégale mais aussi sa mise en place est une grave violation des droits des citoyens burundais vivants en dehors du territoire national.
Les citoyens burundais vivants et travaillants à l’étranger paient des taxes dans leurs pays hôtes. Ils ont un passeport ou un document de voyage qui leur donne le droit de voyager de manière légale. Cette carte est donc un complément de trop aux documents de voyage ou tout simplement un document illégal avec d’autres visées.
En effet, on assiste de plus en plus à des recensements à tout-va et initiés par le pouvoir CNDD par le biais du ministère de l’intérieur. Après l’instauration des cahiers de ménages devenus la norme aujourd’hui, le gouvernement de Gitega est passé á la vitesse supérieure avec un recensement des fonctionnaires et des personnes travaillant pour les organisations internationales avec la mention « appartenance ethnique » sur les fiches de recensement.
La carte de la diaspora va dans cette optique et est le reflet de cette volonté manifeste du gouvernement de Gitega d’avoir une emprise et un contrôle des Burundais vivants à l’étranger. C’est une forme d’intimidation, de discrimination voire de persécution des citoyens burundais vivants en dehors du Burundi comme c’est déjà le cas pour les réfugiés burundais des camps de Nduta et Nyarugusu en Tanzanie.
Le montant de 50 dollars payable chaque année peut constituer une manne financière importatante pour un gouvernement qui manque régulièrement de devises pour importer le carburant et autres produits de première nécessité. Cette carte n’a pas pour but de financer les projets de la diaspora comme c’est mentionné dans le document expliquant cette carte diaspora. C’est purement et simplement un racket organisé par l´Etat Burundais.
Des pratiques inspirées de la dictature érythréenne.
Poursuivre les ressortissants, les racketter, les persécuter voire les éliminer physiquement sont des pratiques que nous avons déjà observées ailleurs.
L’Amnesty International a dans un rapport intitulé « Repression without borders » révélé les pratiques du gouvernement Erythréen visant à harceler et à intimider ses ressortissants vivant à l’étranger et en particulier les détracteurs du gouvernement érythréen. Le gouvernement érythréen ne s’est pas contenté des intimidations mais ses ressortissants doivent également payer un impôt de 2 % sur leur revenu à l’étranger. Peut-on dire qu’il y des similitudes avec ce que le gouvernement de Gitega fait contre ses ressortissants vivant dans les pays limitrophes du Burundi ? Peut-on dire que le gouvernement de Gitega veut faire de la diaspora sa nouvelle ressource de revenus pour financer ses dépenses ? Est-ce qu´il y aurait un agenda politique derrière cette carte diaspora ?
En analysant ce qui se passe dans les pays limitrophes du Burundi et surtout en Tanzanie, il y a beaucoup de similitudes entre ce que le gouvernement érythréen fait avec ses ressortissants vivant au Kenya. Les Burundais vivant dans les camps de réfugiés sont persécutés, intimidés, certains sont morts et le gouvernement burundais est en grande partie responsable de ces malheurs. C’est qui fait mal est qu’une grande partie des Burundais inclus la diaspora ferme les yeux et ne fait rien pour venir en aide à ces réfugiés. Où est notre solidarité ? Ce qui se passe par exemple en Tanzanie et cette carte diaspora me rappelle cette citation célèbre du pasteur Martin Niemöller qui dit ceci :
« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
C’est qui sûr est que le CNDD-FDD ne va épargner personne y compris même ceux qui le soutiennent. Au départ, le CNDD s’attaquait surtout à ses opposants. Il y a beaucoup de la diaspora qui ne sont jamais sentis menacés par le CNDD-FDD puisqu’ils ne sont pas membres des partis d’opposition. Il y a aujord’hui des personnes dans la diaspora burundaise qui vont plus loin en affirmant qu’il faut éviter de critiquer les exactions du CNDD-FDD pour mener une vie sans soucis. Espérons qu’ils vont sortir de leur silence et dénoncer les exactions du CNDD-FDD avant qu’il ne soit tard comme ce fut le cas de certains juifs.
Cette carte diaspora ne vise pas surement ces réfugiés ou d’autres burundais vivant dans les pays pauvres dans lesquels 50 US dollar, c’est-à-dire le coût annuel de cette carte, est une somme importante. Vous comprenez bien qu’il s’agit plutôt des personnes qui habitent ces pays riches qui sont visées.
Parmi les pays les plus visés par le gouvernement érythréen, il y a les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni. Dans ces pays, la diaspora érythréenne est la plus importante et le niveau de vie est très élevé. Est-ce la même chose pour le Burundi ? C’est trop tôt pour le dire mais j’aimerais rappeler le gouvernement de Gitega que le personnel des ambassades et consulats burundais ainsi que toute personne qui va participer de près ou de loin dans ces pratiques d’intimidations peut être expulsé de ces pays qui hébergent ces ressortissants burundais. Ce fut d’ailleurs le cas des membres du FPJDJ, parti au pouvoir en Erythrée.
Selon le rapport de l’Amnesty International, ces pratiques d’intimidations sans frontières ont aussi des fins financières et politiques. Cette taxe diaspora a par exemple beaucoup contribué dans le budget national Erythréen. Dans le document expliquant cette carte diaspora, il est mentionné qu’il y a plus de 365 000 Burundais vivant à l’étranger. Disons que si tout le monde, comme c’est le cas de l’Erythrée, était obligé de payer les 50 dollars US nécessaires pour l’acquisition de cette carte, le gouvernement de Gitega pourrait encaisser 18 millions de dollars, soit 54 milliards de BIF.
Selon les prévisions du budget annuel de 2021/2022, cette somme peut couvrir les 28 milliards prévus pour entretenir le réseau routier national qui aujourd’hui est dans un état déplorable. Cette somme de 54 milliards peut en plus couvrir les dépenses prévues pour l’ajustement des disparités salariales. L’enveloppe prévue pour cela est de 38 milliards. Avec ce simple calcul, vous comprenez les enjeux financiers de cette carte diaspora. Pour rappel, le projet de construction du barrage de Mpanda a enregistré une perte de 54 milliards de BIF. Je me demande si le gouvernement de Gitega veut faire payer la diaspora des malversations économiques faites par ses ministres.
Pour ceux qui vont payer de gré ou de force, pour l’acquisition de cette carte diaspora, il faut vous mettre en tête que votre argent ne fera qu’enrichir le vrai-faux et actuel président Evariste Ndayishimiye et ses copains. C’est qui est encore aberrant est qu’un Tanzanien ou un autre étranger en visite au Burundi aura accès à ces mêmes services sans payer cette taxe diaspora. S’il ou elle se présente à la banque, il n’aura besoin qu’une seule pièce d’identité. De ce fait, toute personne appartenant à la diaspora ayant cette carte devient automatiquement une personne de seconde zone dans son propre pays. Veux-tu faire partie de cette catégorie ? Une question adressée à la diaspora burundaise.
Pour terminer, j’aimerais revenir sur l’aspect politique de ces pratiques d’intimidations. Le pouvoir Erythréen utilise ces pratiques pour anéantir l’opposition. Dans le document expliquant cette carte diaspora, on peut clairement lire que toute personne désirant avoir de bonnes relations avec le Burundi doit avoir cette carte. Il s’agit là d’une menace cachée. Sans doute, toute personne qui ne va pas se doter de cette carte diaspora sera considérée comme ennemi du gouvernement de Gitega. On peut également lire que le gouvernement burundais veut recenser la diaspora. Pourquoi est-ce que le Burundi s’intéresserait à avoir un registre contenant les noms et adresses de ses ressortissants ? Là aussi, il n’y a pas de doute, il s’agit tout simplement d’une façon de contrôler, d’identifier et surveiller la diaspora comme c’est déjà le cas de la population vivant au Burundi à travers les cahiers de ménage.
Ce qui est différent avec ces cahiers de ménage est que le Burundi cherche à collecter des données personnelles des personnes vivant en dehors du Burundi. Cette collecte peut être source de poursuites judiciaires à l’encontre du Burundi. A titre d’exemple, RGPD (Règlement général de protection des données) qui est un règlement ayant pour objectif le renforcement des droits des personnes, s’applique à tous les organismes établis sur le territoire de l’union européenne mais aussi sur les organismes opérant hors de l’UE et qui ont des activités ciblant les résidents européens. La violation du RGPD ne peut se faire sans que la justice des pays membres de l’Union Européenne s’en mêle.
Au moment où j’écris cet article, je viens d’apprendre que dans certains pays en Europe, il est prévu des réunions pour expliquer l’utilité de cette carte. Chose qui prouve que la plupart de gens de cette diaspora visée ne sont même pas au courant de cette carte. La collecte des données personnelles est aujourd’hui un sujet sensible et toute personne ou organisme impliqué dans cette collecte et l’organisation de ces réunions devrait déjà penser à recourir aux services d’un bon avocat parce que les conséquences peuvent être lourdes.
Qu’est qui peut alors rendre possible cette répression à l’érythréenne le quotidien de la diaspora burundaise ? C’est ce qu’Etienne de la Boétie a appelé la servitude volontaire et non forcée. Pour Etienne de la Boétie, un pouvoir tyrannique constitué d’un petit groupe d’hommes ne peut exploiter durablement sa population sans la collaboration active ou résignée de cette dernière. Comme solution contre cette servitude volontaire, il a proposé ce qui suit : « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. »
Par Jr Gihugu.