Crise des pénuries : la fatale dérive du Burundi
Deux ans après l'arrivée d’Evariste Ndayishimiye à la tête du Burundi, la situation socio-économique n’a été aussi sombre. Tous les produits de base s'obtiennent au compte-goutte: carburant, sucre, engrais chimique, eau, électricité. Même les boissons de la Brarudi, pourtant produites sur place, sont d’une rareté inquiétante. Les malheurs s’accumulent pour le peuple qui assiste impuissante à une descente aux enfers annoncée au moment où le régime du CNDD-FDD s’engouffre dans un mutisme honteux.
Ce mercredi 17 août, un chauffeur de taxi a été arrêté par la police à Kamenge alors qu’il transportait un passager sur la toiture de sa voiture. Ce fait divers qui a choqué plus d’un traduit l'extrême désespoir et surtout les risques fous que les Burundais sont aujourd’hui prêts à prendre dans leurs déplacements.
Jusqu’ici, on était habitué à des délits de surchargement, excès de passagers ou encore bousculades parfois violentes pour trouver une place dans un bus ou taxi, en particulier aux heures de pointe. Mais aller jusqu'à monter sur la toiture d’une voiture en pleine circulation, cela relève de l’acrobatie pour ne pas dire du suicide!
Mais comment en est-on arrivé là? Qu’est-ce qui pousse les gens à se jeter vivants dans la gueule du loup? Il faut dire que la crise du carburant qui a éclaté début mai est venue compliquer un secteur de transport en commun qui ne s’est pas encore remis de l’interdiction des tricycles et motos taxi prise au premier trimestre. Certes, les Burundais se sont au fil du temps habitués à des pénuries plutôt brèves des produits pétroliers, mais une telle rareté sur une période de presque quatre mois est une première dans l’histoire du pays. Les analystes avertis rappellent qu’un manque pareil n’a jamais même pas été observé lors de l’embargo sous-régional imposé au Burundi entre 1996 et 1999.
Cynisme et indifférence du gouvernement
Côté gouvernement, l’heure est à l'apaisement. Le président Ndayishimiye dans un rare commentaire sur la question a récemment déclaré que dans un mois la pénurie du carburant sera résolue. Son Premier Ministre, le tout puissant Bunyoni, blâme le contexte international, n’osant pas avouer l'incapacité ou plutôt l'échec cuisant de son gouvernement à régler cette pénurie qui perdure. Car s’il est vrai que les prix des produits pétroliers sont à la hausse depuis le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne et que certaines voies d’approvisionnement sont depuis perturbées, aucun autre pays de la Communauté de l’Afrique de l’est n’est aussi embourbé que le Burundi.
Le ticket de transport entre provinces atteint des niveaux records. Désormais, un passager empruntant le trajet Bujumbura-Gitega doit débourser entre 30 et 40 mille FBu. Celui qui quitte Ngozi pour se rendre dans la capitale politique paie entre 20 et 25 mille FBu tandis qu’une course simple à Bujumbura est facturée désormais à 5.000FBu, tarif qui était jusqu’alors à 3 mille. Même l’est de la RDC, région hautement enclavée, aux voies routières difficilement praticables et en proie à une insécurité quasi-permanente s’en sort mieux que le pays de Mwezi Gisabo.
Et dans une tentative de tranquilliser la population qui ne sait plus à quel saint se vouer, le ministère du commerce annonce l'arrivée d’une manne pétrolière grâce à Methuselah Nikobamye, plus connu sous le nom de Pasteur Habimana, un ancien rebelle du Front National de Libération reconverti en importateur de produits pétroliers dont le nom rappelle l'histoire sombre et violente du pays lorsque ce dernier revendiqua le massacre de plus de 152 réfugiés congolais de Gatumba en Août 2004. Désormais le pays a les yeux rivés sur cet ancien maquisard qui a promis 1.000 camions citernes de carburant par jour pour retrouver un semblant de normalité…
Et si ce n'était pas que le carburant…
Lorsqu’on évoque les graves difficultés et profondes conséquences du manque des produits pétroliers, le pouvoir et certains de ses sympathisants rétorque que ce sont les citadins qui montent au créneau et que la situation dans le Burundi profond est sous contrôle. Et pourtant, la crise des pénuries, appelons-la comme cela, ne concerne pas seulement l’essence ou le mazout. Bien au contraire, elle n'épargne aucun produit stratégique indispensable au bon fonctionnement du pays. L’engrais est devenu aussi rare que le sucre. Obtenir du ciment, des médicaments et certains autres produits relève d’un parcours de combattant.
A Cibitoke comme à Kayanza, les agriculteurs se demandent où sont passés les intrants. Nombreux sont ceux qui décident de s'approvisionner auprès des commerçants à un prix multiplié par deux ou trois. Les boissons de la Brarudi s’obtiennent très difficilement si on n’est pas dans le 'réseau'. A Bubanza, Cibitoke et Makamba, la population crie à la spéculation, au monopole et au népotisme, scandales impliquant souvent les plus hauts cadres du parti présidentiel. Le prix du matériel scolaire est parti à la hausse poussant les parents à des emprunts et prêts pénibles pour faire face à la rentrée prévue d’ici quelques semaines. A ce décor quasi apocalyptique pour le citoyen lambda s'ajoute la hausse des prix des aliments de base qui ont augmenté de plus de 50% au-dessus de la moyenne de l'année dernière.
Y a-t-il un commandant à bord?
Certes les limites du pouvoir CNDD-FDD en matière de bonne gouvernance, planification, leadership et gestion des crises sont notoires et ne datent pas de l’actuel gouvernement. Mais le silence, l'indifférence et surtout la légèreté avec laquelle le pouvoir gère cette crise des pénuries sont plus que troublants. Nombreux sont ceux qui se demandent à quoi rime encore le fameux slogan ‘Reta Mvyeyi, Reta Nkozi’ scandé sur les ondes depuis des mois. En effet, quel État-parent laisse ses enfants mourir au moment où il s’enivre à longueur de journée? Quel État-travailleur ne prêche pas par l’exemple en incitant ses filles et fils au travail en mettant à leur disposition le minimum pour vivre? Aujourd’hui, les treize millions de Burundais sont clairement livrés à eux-mêmes. Ses pseudo-dirigeants brillent par leur absence et immobilisme plus préoccupés par leurs sales deals, enrichissement illicite et confort, loin des cris et pleurs d’un peuple aux abois. Quant à Ndayishimiye, isolé et dépassé par les événements, il reconnaît à demi-voix que le pays est dans un piteux état. Serait-on en train de vivre les derniers jours du régime CNDD-FDD? L’avenir proche nous le dira.
Par Jeannette KAMIKAZI - 21/08/2022