Neva, 3 ans après: l’incarnation d’un pouvoir autoritaire tâtonnant
Trois ans après l’accession d’Evariste Ndayishimiye à la magistrature suprême, nombreux sont ceux qui sont profondément déçus par une gouvernance tâtonnante, un discours trompeur teinté de manipulations, des scandales politico-financiers impliquant sa propre famille biologique, sans oublier bien sûr son incapacité à rassembler les Burundais et à se défaire des extrémistes de son camp qui n’ont jamais interrompu leur machine à tuer. Décryptage d’une présidence parachutée en manque de vision qui peine à rassembler pour reconstruire la nation.
D'emblée, il faut dire que Evariste Ndayishimiye a hérité d’un plat hautement brûlant. Les 15 ans de règne sans partage de Pierre Nkurunziza ont mis le pays à feu et à sang, particulièrement après la brutale répression du mouvement de contestation de son troisième mandat forcé.
Tueries, arrestations arbitraires, disparitions forcées, tortures, enlèvements et violences sexuelles ont caractérisé et continuent de marquer la période post 2015. Les chiffres de la ligue de defense des droits humains Iteka fin Avril 2023 font froid au dos: 4.040 personnes tuées, 1.381 cadavres retrouvés, 13.072 personnes arbitrairement arrêtées, 1.225 victimes de torture, 697 personnes enlevées et 611 victimes de violences sexuelles. On estime que 1.806 personnes, 1.964 et 138 ont été respectivement tuées, arrêtées et enlevées depuis l' accession de Ndayishimiye à la présidence. C' est sans compter les cas de violences basées sur le genre et de torture impliquant souvent les autorités administratives et sécuritaires. Des violations qui s’ajoutent malheureusement aux centaines de milliers de réfugiés et exilés éparpillés dans les pays voisins qui malgré les appels répétés à rejoindre leur bercail rechignent à rentrer, craignant pour leur sécurité.
Sur le plan socio-économique, les choses ne se sont guère améliorées. En ce deuxième trimestre de l’an 2023, tous les indicateurs sont au rouge. L'extrême pauvreté touche plus de 80% de la population qui n'arrive plus à subvenir aux besoins basiques. 65% des jeunes n’ont pas d’emploi rémunéré. Le pays enregistre le plus faible taux de croissance de la sous-région. Les recettes d’exportation ont sensiblement chuté, couvrant à peine 10% des besoins d’importations. L’inflation atteint les sommets à plus de 40%. La faiblesse chronique des réserves en devises (1,5 mois d’importations) couplée avec les taux records de famine, de malnutrition, la pénurie des denrées de première nécessité comme intrants agricoles, carburant et sucre sur fond de pratiques généralisées de mauvaise gouvernance économique, corruption et malversations de tout genre font craindre une situation économique implosive, d'après les experts. Autant de raisons qui non seulement ne rassurent pas ceux qui ont fui en 2015 mais qui poussent la jeunesse, et même les moins jeunes, sur le chemin de l'exil. On estime à plus ou moins 10.000 ceux qui ont rejoint l' Europe via la Serbie au cours des 3 dernières années ainsi que le Moyen-Orient en dépit des avertissements répétés sur les misérables conditions dans lesquelles évoluent les travailleurs étrangers dans les pays du Golfe.
Neva, president incapable et incompétent
Ancien combattant du CNDD FDD, Evariste Ndayishimiye, natif de Giheta en province Gitega, est nommé en 2003 comme chef adjoint de l’état-major. Il occupera ensuite les fonctions de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique entre 2006 et 2017, puis chef de cabinet d’abord militaire puis civil à la présidence avant de se retrouver à la tête du CNDD-FDD en 2015. Poste qu' il occupera jusqu'à sa nomination comme candidat présidentiel lors du congrès de février 2020.
Au sein du CNDD FDD, Evariste, a.k.a Neva ne faisait pas consensus. Mais le poids du cercle fermé des généraux a fini par écarter le candidat préféré de Nkurunziza, l' ancien président de l'Assemblée Nationale Pascal Nyabenda. A la suite du décès inopiné de Nkurunziza, les généraux se sont empressés de l' installer au fauteuil présidentiel dans une précipitation qui a laissé plus d' un dubitatif sur les circonstances de la disparition de l' ex-guide suprême qui jusqu' ici n' ont jamais été élucidées.
Installé au pouvoir à la va-vite, Neva a su tant bien que mal gérer les luttes internes et rivalités au sein du cercle des généraux. Mais aux yeux de l’opinion, il n’a pas tardé à décevoir. Interrogé en août 2020 sur la déclaration des biens des dirigeants conformément à la Constitution, celui qui était jusque là parvenu à garder son nom hors de multiples scandales financiers ayant marqué l'ère Nkurunziza n’a pas hésité à dire que cela ressort de la vie privée et que les dirigeants ne sont pas tenus de rendre public leurs biens. S' en est suivi ensuite une succession de mesures les unes plus impopulaires que les autres. L’on citera en passant la démolition des maisons, kiosques et clôtures non respectueuses de la règle de 6 m,l’interdiction de circulation des taxi motos et tricycles au centre ville, la fermeture des bureaux de change, etc. Autant de décisions hasardeuses qui sont venues empirer le sort des millions de Burundais confrontés à la précarité au quotidien.
Mais l' une des sorties remarquées qui ont mis au grand jour l'incapacité de Ndayishimiye reste celle d 'août 2021. Devant un parterre de magistrats, Neva a avoué pleurer comme tous les citoyens face aux gros poissons intouchables et corrompus qui tiennent le pays d’une main de fer. Une révélation qui a fait sensation au sein de l'opinion qui ne s' attendait pas à un tel étalage de son incapacité et incompétence.
Ces rivalités persistantes ont conduit au licenciement du tout puissant Premier Ministre début septembre 2022. Accusé de tous les maux dont la paralysie de la vie socio-économique du pays, Neva a destitué son ancien compagnon et rival avant de l'incarcérer d'abord à la prison de Ngozi puis de Gitega où il a été transféré mi juillet 2023. D'après les analystes, Alain Guillaume Bunyoni aurait été non seulement victime des rivalités à la tête du pays, mais aussi de ses ambitions présidentielles et influence marquée, notamment au sein de la police et de la communauté locale des hommes d' affaires. Les mêmes analystes se montrent plus que sceptiques quant à un probable changement en profondeur malgré la mise à l'écart de Bunyoni.
En réalité, il serait illusoire de s’attendre à de véritables bouleversements. Persistance des discours de haine et divisionnistes entretenus par l’aile radicale du parti de l’aigle ainsi que la très controversée Commission Vérité et Réconciliation, intimidations des opposants réels et supposés, et positionnement en prévision des scrutins de 2025 et 2027 dominent le quotidien des Burundais. La presse et la société civile rapportent régulièrement les abus et violations des droits humains, lesquelles impliquent tantôt l’administration à la base, tantôt les autorités hiérarchiques et judiciaires. Dans la seule province de Bururi, 10 personnes ont été tuées par des inconnus au cours du mois de Mai. Entre-temps, les Imbonerakure multiplient leur sale besogne de terroriser les membres des autres partis politiques dans une lutte de positionnement pour faire barrage à l' opposition aux prochains scrutins.
Détrompons-nous: le Burundi ne va nulle part sous Ndayishimiye
S' il est vrai que certains signaux positifs ont été remarqués, notamment sous la pression des bailleurs de fonds et de la communauté internationale, force est de constater qu' il serait naïf voire illusoire de s' attendre à un quelconque changement en profondeur dans le court ou moyen terme au Burundi. L' espace civique et médiatique reste verrouillé. L'intolérance politique bat son plein. Les actes d' injustice, de mauvaise gouvernance et d' impunité sont légion. Absence de dialogue politique et surtout une intolérance politique persistante en prévision des scrutins qui s' annoncent dont la victoire du CNDD FDD ne fait plus aucun doute. Voilà les ingrédients d' un scénario cauchemardesque auquel les Burundais font et auront à faire face les prochaines années en l' absence d' un sursaut national de renversement d' une dictature qui a trop duré. Allons-nous continuer d’ assister impuissants à cette dérive autoritaire et sanguinaire? Ou au contraire, allons-nous nous lever comme un seul homme pour la libération de notre chère patrie? Les temps sont mauvais, très mauvais. L' heure est à l' action car demain risque d'être trop tard!
Par Jean-Charles NCUTI