Président Evariste Ndayishimiye : entre crises socio-économiques et promesses non tenues
Le président Ndayishimiye a prêté serment le 18 juin 2020 à Gitega, avec deux mois d'avance sur la date prévue, après le décès soudain de son prédécesseur Pierre Nkurunziza. Les Burundais avaient placé beaucoup d’espoir dans la nouvelle direction du pays, après 15 ans de répression politique, de délabrement de la société et de l’isolement du pays. Le nouveau Président héritait d’un pays confronté à l’épidémie de Covid-19, gangrené par les violations massives des droits de l’homme, de massacres à grande échelle de populations civiles, d’une corruption devenue endémique, d’une pauvreté extrême qui touchait plus des 2/3 de la population, de plus de 400.000 réfugiés dans les pays voisins depuis 2015 et plus de 150.000 personnes déplacées à l’intérieur du Burundi.
Quelques décisions révélatrices d’un mauvais dirigeant
Dès sa prise de fonction, le président Ndayishimiye surprend: il souhaite poursuivre l’oeuvre de Pierre Nkurunziza, qui l’avait présenté comme son héritier, pas forcément de quoi rassurer le peuple et la communauté internationale qui appelaient à un changement de modèle de gestion à la tête du Burundi. Outre cela, il annonce une équipe gouvernementale serrée, composée de 15 membres, dominée par les tenants de la ligne dure du cndd-fdd, dont certains travaillaient avec le précédent régime, d’autres qui étaient sous sanctions internationales, en raison de leurs responsabilités dans les violations des droits de l’homme, consécutives aux manifestations contre le troisième mandat du président Nkurunziza, mais aussi de leurs plans d’extermination des opposants, qu’ils soient des acteurs politiques ou de défense des droits de l’homme.
Sur les 15 membres du Gouvernement, 12 sont hutu, 2 Tutsi et 1 Twa. De même, sur 79 hauts cadres des ministères, 63 sont de l’ethnie hutu, 16 de l’ethnie tutsi (Ligue Iteka, mars 2021). Les mêmes déséquilibres se retrouveront au niveau de la représentativité des partis politiques, que ce soit au sein du gouvernement et des entreprises para-étatiques. Et ce, contrairement au principe d’inclusivité contenu dans les Accords d’Arusha. Il va sans dire que les Burundais, désireux de lendemains meilleurs, sont tombés des nues quand ils ont appris la composition de cette équipe. Il était difficile d’envisager qu’il puisse y avoir des réformes pour une transformation socio-économique du pays.
Un bilan médiocre après plus de trois ans au pouvoir
Il est inquiétant de constater que, après plus de trois ans de mandat du président Ndayishimiye, aucune lueur d’espoir de changement ne pointe à l’horizon. Le pays caracole en tête du classement des pays les plus pauvres du monde, les chiffres de l’inflation sont effrayants. Les finances publiques restent marquées par un endettement intérieur colossal de 6 000 milliards BIF. Le président Ndayishimiye ne cesse d’annoncer la lutte sans merci contre la corruption, sans que cela se traduise dans les faits. Le gouvernement se contente de parler des remboursements de l’argent détourné sans en montrer les auteurs et le sort qui leur a été réservé.
Les secteurs clés, comme l’agriculture et les mines, vecteurs du développement, ne sont pas valorisés à leur juste valeur, le résultat est un fiasco. Le tourisme reste inexploité, la production du café recule et ne fait plus rentrer de devises comme auparavant. Cela démontre le manque de vision et de plan opérationnel pour orienter le développement économique ainsi que la mauvaise gouvernance, la corruption, les malversations économiques, le manque de transparence dans la gestion de la chose publique.
Les statistiques de l'Institut National de la Statistique du Burundi (INSB) montrent que l’inflation alimentaire a augmenté de 40,5% en octobre dernier (Burundi Eco, novembre 2023). Cette inflation plonge des familles entières dans une situation de vulnérabilité notoire et renforce la paupérisation. Elle frappe les produits vivriers et d’autres produits d’usage courant. Déjà, la faim atteint un niveau alarmant dans le pays. On déplore également la rareté du carburant, ce qui occasionne une faible capacité du pays à importer, une mauvaise organisation du circuit d’approvisionnement des produits pétroliers et une faible capacité de stockage. Cette rareté a des conséquences incalculables sur l’économie et paralyse tous les secteurs de la vie nationale.
Côté sécurité et droits de l’homme, relevons quelques cas inquiétants, la liste n’est pas exhaustive : des corps sans vie mais dont les auteurs du crime ne sont pas identifiés, l’abus de l’administration lié à l’exigence de contributions non prévues par la loi, la participation forcée de la population dans les activités festives du parti cndd-fdd, les bavures policières où, parfois, les citoyens y perdent la vie, les abus des jeunes Imbonerakure (la ligue des jeunes du parti cndd-fdd au pouvoir), l’intolérance politique, les arrestations arbitraires et la surpopulation carcérale dans les prisons et les cachots. Des membres du parti Msd sont détenus dans différentes prisons, alors qu'ils ont purgé leurs peines ou ont été acquittés par la grâce présidentielle. La journaliste Floriane Irangabiye est emprisonnée pour le seul fait d’avoir exercé son droit la liberté d’expression. En mai 2023, la Cour d’appel a confirmé sa condamnation à 10 ans de prison sur base d’accusations d’atteinte à la sûreté nationale. La situation des droits humains au Burundi continue à soulever de profondes inquiétudes. Les promesses de respecter la liberté d’expression et d’améliorer le système judiciaire, faites par le président Ndayishimiye lors de sa prestation de serment en juin 2020, ne se sont pas traduits en réformes structurelles.
Aucun responsable de haut niveau n’a rendu de comptes pour les violations commises en lien avec la répression des manifestants de 2015 ou le ciblage des membres et sympathisants de l’opposition, des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et d’autres voix critiques ou indépendantes. Au contraire, certains ont été récompensés par des postes au gouvernement, à la police et à l’armée.
Soulignons, entre autres errements du président Ndayishimiye, l'envoi de nos militaires en RDC pour combattre le mouvement rebelle M23, aux côtés de l'armée congolaise, des FDLR et des “wazalendo" considérés comme patriotes selon Tshisekedi, sur base d'un accord de coopération militaire avec son homologue Tshisekedi, ce en dehors de la force d'interposition régionale de l'EAC. Tout le monde a vu les images de nos militaires, circulant sur les réseaux sociaux, en tenue de combat congolaise, pris en otage par le M23, dans une guerre qui n'est pas la leur. Des morts au combat on n'en parle pas. C'est la dernière humiliation qu'un président puisse faire à son armée. L'envoi de nos militaires en RDC combattre aux côtés des FDLR est une décision suicidaire sachant les conflits interethniques et violents qu’ a connu le Burundi.
Impératif pour un Burundi nouveau et meilleur
Les Burundais doivent, de nouveau, se mettre autour d’une table, pour discuter des mécanismes du vivre-ensemble, à l’instar de ce qui avait été initié en 1990 autour de l’unité nationale, ou entre 1998 et 2000 pour la paix et la réconciliation nationale. Le dialogue et la concertation ont toujours été les instruments de règlement des conflits et différends entre Burundais depuis des siècles. Le président Ndayishimiye a une obligation de résultat: restaurer la paix et réhabiliter la cohésion sociale que son entourage s’évertue de faire disparaître, puis bâtir une société paisible, juste et humaine, autour de la vertu d’UBUNTU héritée de nos ancêtres. Le retour des nombreux exilés, afin de participer à la reconstruction du pays, est à ce prix. Un Burundi nouveau est possible, plus digne.
Pr Kiradodora