Melchior Ndadaye, le visionnaire du “Burundi Nouveau”

 

Dans les pages qui suivent, nous aborderons les points suivants: la biographie de Melchior Ndadaye, son parcours politique, sa vie professionnelle, la situation pré-électorale et la campagne électorale au Burundi en 1993, les 100 jours du Président.

 Qui était Melchior Ndadaye?

Feu Melchior Ndadaye, marié et père de 3 enfants, est né à Murama dans la commune Nyabihanga de la province Muramvya en 1953. Il a fait ses études primaires à Mbogora jusqu’en 1966. De 1966 à 1972, il a fréquenté l’École Normale de Gitega avant de fuir le pays vers le Rwanda suite aux événements de 1972. Il a parachevé ses études secondaires au Groupe Scolaire de Butare de 1972 à 1975. Par la suite, il a fréquenté l’Université Nationale du Rwanda à Butare dans la Faculté des Sciences de l’Éducation jusqu’en 1980.

En politique, Melchior Ndadaye a participé, en janvier 1976, à la création du Mouvement des Étudiants Progressistes Barundi au Rwanda (BAMPERE) dont il a été président jusqu’en 1979. En août 1979, il participe à la fondation du Parti des Travailleurs du Burundi (UBU) qu’il quittera en 1983 suite à des divergences de vues sur les stratégies à adopter pour renforcer le courant démocratique au Burundi. En septembre 1983, Melchior Ndadaye décide de rentrer au pays et mener de l’intérieur son combat politique. En 1986, il participe à la formation du parti Sahwanya FRODEBU, travaillant dans la clandestinité jusqu’en 1991. Avec l’arrivée du multipartisme, le parti Sahwanya FRODEBU est agréé et Melchior Ndadaye en devient président. Au Congrès Extraordinaire du 18 avril 1993, Melchior Ndadaye est désigné pour représenter son parti aux élections présidentielles.

Côté professionnel, de 1980 à 1993, Melchior Ndadaye a été professeur au Groupe Scolaire de Save, en préfecture de Butare au Rwanda. En même temps il a dispensait des cours à temps partiel à l'Université Nationale du Rwanda. A cette même période, il a effectué un stage en psychologie clinique à l’Hôpital Psychiatrique de Ndera. Il décide de rentrer au pays en août 1983. En 1984, il travaille pendant quelques mois au Centre Neuro-Psychiatrique de Kamenge comme psychologue. En 1986, il devient Directeur des Coopératives d’Epargne et de Crédit (COOPEC). En 1988, il est élu au poste de Premier Secrétaire de l'UTB (Union des Travailleurs du Burundi) en province de Gitega. Le 23/10/1988, suite à une intervention lors d’une réunion organisée par le Gouverneur de Gitega, dans la foulée des événements de Ntega et Marangara, Melchior Ndadaye est arrêté, emprisonné (du 24/10 au 28/12) à Rumonge et déclaré personne indésirable en province de Gitega. En janvier 1989, il est nommé Conseiller au Ministère du Développement Rural. En mai 1989, il est engagé comme Directeur du Service Crédits à la Meridien BIAO Bank du Burundi où, plus tard, il sera nommé Directeur du Service de Révision des Crédits, poste qu’il gardera jusqu’au lancement de la campagne présidentielle, le 1er juin 1993.

De l’électricité dans l’air pré-électoral

Durant les mois qui précèdent l’élection présidentielle du 1er juin 1993, il règne au Burundi une atmosphère de tension extrême, mais aussi des signes avant-coureurs de tueries de masse, visant principalement les Tutsi ainsi que les Hutu membres du parti Uprona.

Alors que le pays s'apprête à organiser ses premières élections démocratiques, des discours incendiaires et des menaces explicites émanent du Palipehutu (Parti pour la libération du peuple hutu), dirigé par Kossan Kabura. Ce dernier, depuis l'exil et à travers divers canaux, formule des menaces claires contre les institutions burundaises, dénonçant ce qu’il qualifie de « mascarade démocratique » orchestrée par une élite Tutsi et exigeant une véritable révolution politique et militaire. Ces menaces sont relayées et amplifiées par le journal extrémiste Kangura, basé au Rwanda.

Le 13 août 1990, une cinquantaine de jeunes gens venus du camp de réfugiés de Gatumba en Tanzanie, équipés de quelques armes à feu, attaquèrent le camp militaire de Mabanda au sud du pays: 3 militaires et 4 rebelles furent tués. Dans la même logique l’attaque du Palipehutu de 1991 vise la reconnaissance du terrain et la mesure de la puissance de l’armée burundaise.

En date du 16 décembre 1992, dans un document de 39 pages intitulé “Le Frodebu procède toujours par des méthodes tribalistes et violentes”, le Bureau Exécutif du Comité Central de l’Uprona, sous la direction de Nicolas Mayugi, a rendu publique une déclaration dénonçant  les comportements antidémocratiques du FRODEBU. Le document rapportait, en détails, des témoignages concernant les incidents à caractère ethnique survenus pendant la période qui a précédé les élections de 1993, présidentielles (en mai) et législatives (en juin), et préparé l’avènement du “Burundi nouveau”. « Nous nous sommes retrouvés dans l'obligation morale et politique de mettre le doigt sur la plaie, dans l'intérêt supérieur de notre pays parce que nous estimions que les agissements du FRODEBU travestissent la Démocratie voulue par le Peuple Burundais, et vicient de manière dramatique la cornpéti tion pluraliste. Il nous a paru irresponsable et indigne de l'UPRONA de jouer la politique de l'autruche pendant que la paix sociale du pays, la sécurité de notre population et les options démocratiques courraient un danger réel, compromis par la propagande tribaliste, l'instigation à la haine ethnique et à la violence, le recours à des méthodes terroristes, les mots d'ordre de désobéissance civile, la manipulation des techniques d'intoxication de l'opinion et bien d'autres comportements crirninels », pouvait-on lire dans le document.

La campagne électorale

Trois candidats étaient en lice: Major Pierre Buyoya, président sortant se présentant sous la bannière de l’Uprona, Melchior Ndadaye du Frodebu et candidat de la coalition des Forces pour le changement, et Pierre Claver Sendegeya du PRP, un parti qui prônait le retour à la monarchie.

Le Parti Uprona, alors au pouvoir, avait axé son discours de campagne sur la dynamique d'unité nationale, fort des résultats des nombreux colloques sur cette question, qui avaient abouti à la promulgation, le 05 février 1991, d'une Charte de l'Unité Nationale. Malheureusement, cette dynamique, expérimentée sur un laps de temps relativement court (1988-1991), n'a pas pu produire les effets escomptés, laissant perdurer les contradictions et les distorsions dont l'opposition a fait son cheval de bataille pour un changement radical. Au cours de ses meetings, le Major Pierre Buyoya a fait de la paix et de l’unité nationale son cheval de bataille. Se portant garant de la stabilité du pays, il demandait à la population de lui confier ce mandat afin de bien parachever son œuvre d’unir les Burundais. De bonne guerre, il reprochait à son challenger du Frodebu de s’opposer à la politique de l’unité nationale.

Le Frodebu, principal parti d'opposition, se présentera sous le signe du changement, se donnant pour mission de construire un Burundi Nouveau, digne et prospère. Le programme présenté, connu sous l’appellation des 46 propositions du président Ndadaye Melchior, était basé sur: (1) l’installation de la démocratie au Burundi ; (2) la mise à l’honneur du travail ; (3) le renforcement de la culture du partage équitable des biens, que la Nation procure, entre tous les fils et filles de la Nation. D'un autre côté, le Frodebu a mis à profit la campagne électorale pour mettre en exergue et fustiger les distorsions que le “régime Uprona” n'avait pas pu corriger ou atténuer. Ces distorsions avaient trait principalement: (1) à la composition des forces de l'ordre et de sécurité ; (2) au système éducatif ; (3) aux modalités d'accès au pouvoir et aux postes administratifs ; (4) aux zones d'ombre judiciaires recouvrant les tragiques événements de 1972 ; (5) à la mauvaise gestion alléguée du pays par le parti unique pendant plus de trente ans.

Le retour au multipartisme en 1991 au Burundi permet au mouvement monarchiste burundais de réapparaître sur la scène nationale. Interdit par la Constitution depuis les années 1970, le fait même de se revendiquer comme royaliste était passible d’emprisonnement. D’abord baptisé Parti Royaliste Parlementaire, il devient, en 1992, le Parti de la Réconciliation du Peuple (PRP) afin de pouvoir se faire enregistrer comme parti d’opposition et se présenter aux premières élections multipartites de juin 1993. Bien que dirigé par Mathias Hitimana, ancien intime du roi Ntare V, c’est  Pierre-Claver Sendegeya, professeur à l'Ecole Technique Secondaire d’Art de Gitega (ETSA) qui portera les couleurs jaunes du parti durant les élections.

Ayant clôturé leurs campagnes le 29 mai, les trois candidats venaient de passer deux semaines à sillonner le pays en promettant monts et merveilles aux électeurs.

1er juin 1993, proclamation des résultats: Melchior Ndadaye (Frodebu) remporte, dès le premier tour, la première élection présidentielle au suffrage universel de l'histoire du Burundi, obtenant 64,79 % des suffrages, contre 32,47 % au candidat de l'Union pour le progrès national (Uprona), Pirre Buyoya, et seulement 1,44 % au candidat du PRP, Pierre Claver Sendegeya, arrivé en troisième position. L’on apprendra plus tard que c’est grâce à la campagne du Palipehutu que le Frodebu a remporté les élections.

Dans la nuit du 3 au 4 juin, une première tentative de coup d’État échoue. C’est le fameux coup d’État du lieutenant Bizuru, alors commandant du 1er Escadron au 11ème Bataillon blindé, qui a montré l’ampleur du mécontentement au sein l’armée.

Dans la nuit du 2 au 3 juillet 1993, alors que Melchior Ndadaye n'a pas encore pris ses fonctions de Chef d'Etat, une deuxième tentative de coup d’État, menée par des hommes du 2ème Bataillon commando, est également déjouée. Ordre est donné d’arrêter plusieurs officiers et soldats, dont le lieutenant colonel Sylvestre Ningaba, chef de cabinet du Président Buyoya.

Les 100 jours du Président

Melchior Ndadaye est investi le 10 juillet 1993. Il forme un  Gouvernement dont les membres sont annoncés le jour même au Palais des Congrès de Kigobe. A la surprise générale, il confie le poste de Premier Ministre à une femme (une première au Burundi!), de l’ethnie Tutsi, technocrate et ancienne cadre supérieure de la Banque Centrale du Burundi: Sylvie Kinigi. Dans son discours d’investiture, il s’engageait « à consacrer toutes ses forces à assurer l’unité nationale, la justice sociale et le développement du pays, et à sauvegarder l’intégrité et l’indépendance du Burundi ». Il déclarait qu’il allait construire un Burundi Nouveau, caractérisé par la paix pour tous, la culture du respect des droits de l’homme et l’éthique de l’unité véritable. Il promettait de tout mettre en oeuvre pour enterrer à jamais les conflits ethniques.

Après la victoire de Melchior Ndadaye et du Front pour la démocratie au Burundi (FRODEBU) lors de l’élection présidentielle de juin 1993, Kossan Kabura et le Palipehutu ne reconnaissent pas la légitimité du nouveau gouvernement. Le mouvement pose plusieurs exigences au régime de Ndadaye, parmi lesquelles: la dissolution de l’armée nationale, perçue comme un bastion tutsi hostile aux intérêts des Hutu ; l’instauration d’une armée « populaire » inclusive dominée par les Hutu ; l’amnistie et l’intégration des combattants du Palipehutu dans les forces armées nationales ; la reconnaissance du Palipehutu comme parti politique légal, malgré ses activités armées. Melchior Ndadaye refuse de céder aux exigences de Kossan Kabura. Il considère ces revendications comme contraires à l’esprit républicain, à la consolidation de l’État de droit et à l’unité nationale. Il rejette notamment toute tentative de création d’une armée ethnique ou parallèle, insistant sur la réforme graduelle et inclusive des institutions de sécurité. Pour Ndadaye, céder à de telles pressions reviendrait à légitimer la violence politique et à mettre en péril la fragile transition démocratique du pays.

Tâtonnements et erreurs politiques ont caractérisé la prise de fonction du nouveau Président. Très vite, il fait face à une gestion catastrophique de la question des terres et des rapatriés par le ministre de la Fonction Publique et du Rapatriement des Réfugiés, Léonard Nyangoma. Pour lui, les résidents doivent remettre aux refugiés leurs terres. L’Uprona, alors parti de l’opposition, flaire une occasion d’affaiblir le nouveau régime. Il mobilise les habitants de Magara au sud du pays, pour la plupart des Tutsi, chassés de leurs terres au profit des rapatriés, pour faire un sit-in à la Présidence de la République. Le Président demande à Nyangoma de mettre sur pied une commission et de faire des propositions au gouvernement. Nyangoma refuse de s’exécuter.

Dans le cadre du rapatriement et de la réintégration, le nouveau gouvernement envoie des missions de recencement, dans les pays d’accueil, et de sensibilisation pour le retour des réfugiés. Le Palipehutu, mouvement extrémiste Hutu, avait longtemps recruté, dans les camps du Rwanda et de la Tanzanie, des combattants qu’il envoyait clandestinement au Burundi pour y organiser des massacres. L’exemple illustratif étant celui des attaques de Ntega et Marangara, en août 1988, attaques attribuées au Palipehutu.

Dans ses débuts, le Frodebu tente maladroitement de contenir une presse indépendante ou d’opposition qui lui est ouvertement hostile. Faute de disposer de ses propres organes de communication puissants et bien structurés, le parti de Melchior Ndadaye se retrouve souvent en position défensive face à des médias, parfois hérités du régime précédent, qui dénoncent ou caricaturent son action politique. Certaines tentatives de régulation ou de limitation de ces voix critiques sont perçues comme une volonté de museler la liberté de la presse, ce qui affaiblit davantage l’image du nouveau pouvoir, déjà confronté à une administration, une armée et un appareil judiciaire encore largement dominés par des fidèles de l’ancien régime.

Dans un discours qu’il prononcera à Makamba, à la veille de son départ pour l’Ile Maurice, où se tenait une rencontre des chefs d'État et de gouvernement des pays membres de l'Organisation internationale de la francophonie, il rassura les esprits inquiets au risque de mécontenter les membres du Frodebu. Beaucoup de réfugiés, rapatriés de Tanzanie ou du Rwanda, exigeaient de réintégrer leurs anciennes propriétés, qui ont entre-temps été occupées et cultivées. Le Président indiqua que la question des biens des rapatriés devait être étudiée cas par cas. Il a tenu à ce que ce discours soit beaucoup diffusé car il orientait sa politique et déterminait les grands axes de la question des terres et des rapatriés.

Sur le plan régional, un dossier brûlant défrayait la chronique: la guerre civile qui opposait les Forces armées rwandaises (FAR) aux combattants du Front patriotique rwandais (FPR-Inkotanyi) depuis le 1er octobre 1990. Le gouvernement burundais s’inquiétait, à juste titre, des possibles répercussions de cette guerre sur le pays. Ndadaye fit sa première apparition internationale, le 4 août 1993, à une visite à Arusha où avait lieu, à l'issue de longues et douloureuses négociations, la signature du dernier Accord de paix d’Arusha entre le Gouvernement de la République Rwandaise et le FPR, accord qui devait mettre fin à la guerre.

Le nouveau maître du Burundi effectua son premier voyage en Europé, le 10 août 1993, lorsqu’il se rendit en Belgique assister aux obsèques du Roi Baudouin de Belgique. Il en a profité pour échanger avec de nombreux chefs d’État présents à ces cérémonies. Certains d’entre eux ne tarissaient pas d’éloges à l’endroit du jeune président.

Le 3 septembre 1993, le président rwandais a rencontré son homologue burundais en province Ngozi. Dans son discours d’accueil, le président burundais a demandé à son homologue rwandais d’appliquer la politique d’unité nationale, comme au Burundi, et de mettre en place les accords d’Arusha. Au cours des discussions, Habyalimana menaçait Ndadaye de lui envoyer dans la semaine suivante, tous les Burundais réfugiés au Rwanda. La rentrée massive des réfugiés aurait déstabilisé Ndadaye politiquement et économiquement. Il lui a été difficile de convaincre Habyarimana, déchaîné, de ne pas mettre à exécution ses menaces.

Le 4 octobre 1993, le Président Ndadaye prit part à la 48 ème Session Ordinaire de l’Assemblée Générale des Nations Unies, à New York. Il renouvela son engagement à construire un Burundi de paix et de stabilité pour tous. Il reconnut que « des erreurs ont été naturellement commises et il reste d’autres problèmes sérieux qui ne cessent pas de se poser sur notre parcours démocratique. Néanmoins, nous ne voulons pas les laisser nous bloquer et nous paralyser. Les contretemps et les problèmes sont là pour être surmontés. Les erreurs doivent être reconnues comme telles et corrigées. C’est cela, une des conditions de départ pour un Burundi nouveau ». Il déclara notamment: « C’est guidé par cette volonté que le Gouvernement vient de proposer, et l’Assemblée Nationale a ratifié, une loi d’amnistie qui a permis à plus de cinq mille de nos compatriotes, soit 70% de la population carcérale de notre pays, de retrouver leur liberté et participer ainsi à l’édification d’un Burundi démocratique, confiant en lui-même et intégré ». Le discours résonna si bien dans les oreilles de ses pairs qu’il eut droit à une “standing ovation” de toute la salle. Beaucoup ont vu, dans son discours, un homme d’État résolument engagé à promouvoir la paix et le vivre-ensemble entre communautés burundaises, afin de pouvoir soigner les blessures de 40 ans de confrontations ethniques. Lorsqu’un journaliste du New York Times lui demanda quelle serait sa plus grande satisfaction au terme de son mandat de cinq ans, il lui répondit: « Si au bout de cinq ans aucun Hutu n’a été tué parce que Hutu, et si aucun Tutsi n’est mort parce que Tutsi, ce sera ma plus grande réussite ».

Il fallait aussi régler la question des effectifs de la Fonction Publique. Le nouveau pouvoir procéda à ce qui a été appelé “gususurutsa”, c’est-à-dire le nettoyage ethnique dans la Fonction Publique. De nombreux cadres Tutsi, jusqu’aux plantons et balayeurs dans l’Administration, furent remplacés sans ménagement par leurs frères Hutu, sans aucun respect des règles régissant les travailleurs de la Fonction Publique, ou même, sans considération aucune des compétences. Le renouvellement de la classe politique apparut comme mono-ethnique: le Parlement et le Gouvernement, issus des élections, comprenaient essentiellement les membres du parti Frodebu, les anciens réfugiés et quelques membres Hutu de la société civile.

Les faits contredisaient les discours, l’unité nationale, tant prônée par le nouveau pouvoir, était définitivement brisée. C’était tout à fait le contraire de la vision, prônée par le Président élu, de bâtir un “Burundi Nouveau” qui ferait table rase du passé, balayer les antagonismes ethniques et écrire une nouvelle page du vivre-ensemble entre frères.

L’acte final de ces réformes en cascade visait l’armée, où le nouveau pouvoir décida de renouveler les forces armées, en renvoyant certains militaires Tutsi à la retraite anticipée, pour les remplacer par des militaires Hutu, certains issus des mouvements armés installés en Tanzanie. 

En province Bubanza: Le 12 octobre 1993, jour du marché à Muzinda, 9 personnes ont été tuées. Ce jour-là, un universitaire nommé Ndayisenga Rémy et un militaire prénommé Athale qui portait discrètement un pistolet, faisaient tranquillement leurs achats au marché et vers 11 heures, ils ont été assaillis par une foule de gens les accusant d’être venus tuer des Hutu. Le militaire a essayé de se dégager en tirant en l’air mais il a vite été maîtrisé et désarmé et il a été tué avec son compagnon à coups de couteaux, lances et flèches. Ils ont été tués en présence de Gervais, conseiller du gouverneur, et Léonidas Nyandwi, administrateur communal. Une femme et sa fille de 2 mois ont été tuées au marché le même jour. 5 personnes ont été tuées le même jour sur la route Muzinda-Rugazi à un endroit appelé Minyari, colline Kayange.

Du 16 au 18 octobre 1993, le président Ndadaye participe au 5ème Sommet de la Francophonie à l'île Maurice. Il reçoit un accueil chaleureux et les félicitations du président Mitterrand, le Burundi ayant été le “bon élève de La Baule” et désormais le modèle à suivre par les autres pays d’Afrique. Les présidents Mobutu et Habyarimana ont été plutôt admonestés, accusés de traîner les pieds pour démocratiser leurs pays. En marge du Sommet, le président Ndadaye réussit à réconcilier le président François Mitterrand avec le Maréchal Mobutu, isolé et viellissant. Ce jour-là, il démontra avec brio que lâcher le Zaïre (aujourd’hui RDC), c’était mettre en péril la sécurité des neufs États qui l’entourent.

Dès le 18 octobre 1993, des rumeurs de coup d'Etat se propagaient dans tout Bujumbura. Ce jour-là, Ndikumwami Richard, alors Administrateur-Général de la Documentation (Sûreté Nationale), accompagné de Sendegeya Christian, son Adjoint, s’étaient rendus en commune de Rango. Ils ont tenu un meeting à la paroisse de Gasenyi, au cours duquel ils ont révélé qu’un putsch se préparait et que les Hutu devaient passer à l’action en exterminant les Tutsi et les Hutu de l’Opposition. Les deux personnages venaient de donner les mêmes enseignements dans d’autres coins comme au chef-lieu de la province Kayanza. Des machettes neuves avaient aussi été distribuées dans d’autres provinces. Des tronçonneuses pour couper les herbes  et obstruer les routes, des bidons d’essence pour brûler les maisons furent aussi distribués au sein de la population Hutu du Frodebu.

Dans la nuit du 20 au 21 octobre 1993, le Palais présidentiel du 1er Novembre est attaqué par des éléments de l'armée burundaise, principalement issus de la garde présidentielle. Face à l’assaut, le président Melchior Ndadaye est évacué, avec sa femme et ses enfants, vers le camp militaire de Muha, situé au sud de Bujumbura. Au camp Muha, face aux soldats surexcités, le colonel Bikomagu, chef d’état major, intervient, prend la famille du Président et l’emmène à l’abri à l’ambassade de France. Melchior Ndadaye, lui, sera alors emmené et fait prisonnier dans le camp du 1er bataillon des parachutistes. Simultanément, la chasse est ouverte aux successeurs constitutionnels du Président Ndadaye, en l’occurrence le président et le vice-président de l’Assemblée Nationale, Pontien Karibwami et Gilles Bimazubute qui seront enlevés, puis torturés à mort. Subissent le même sort le ministre de l’Intérieur, Juvénal Ndayikeza, et Richard Ndikumwami, administrateur général de la Sûreté. Tous sont tués pratiquement au même moment et à des endroits différents.

Malgré les tentatives entreprises par le chargé d’affaires à l’ambassade américaine, Paul Patin, pour sauver le président Ndadaye, il sera exécuté dans la matinée du 21 octobre, aux alentours de 10 heures. Le rapport d’autopsie révélera qu’il a été tué à coups d’instruments tranchants, des baïonnettes vraisemblablement, et qu’on lui a peut-être aussi placé une corde dans la bouche qui l’a étouffé.

Le palais du 1er novembre et résidence du Président deviendra le lieu de sépulture de ces “martyrs de la démocratie”. Les événements du 21 octobre 1993 ont provoqué une onde de choc dans tout le Burundi, et déclenché des violences.à caractère génocidaire contre les Tutsi.

Une main étrangère dans l'assassinat du président Ndadaye?

La veille de l’assassinat du président Melchior Ndadaye, le 20 octobre 1993, des sources rapportent la présence à Bujumbura du chef des renseignements rwandais, ainsi que celle de l’ancien gendarme français Paul Barril, hébergés à l’Hôtel Méridien. Cette coïncidence alimente de nombreuses interrogations sur l’éventuelle implication d’acteurs étrangers dans le coup d’État militaire qui allait éclater le lendemain.

Un procès, dit des « exécutants », avait débuté en 1993 et s'était conclu trois ans plus tard par la condamnation de deux simples lieutenants et quelques sous-officiers. Aucun des hauts gradés de l'armée de l'époque, cités dans l'affaire, et qui étaient encore tous puissants, n'avait été inquiété.

Le jugement sera rendu le 14 mai 1999 par la chambre judiciaire de la Cour Suprême pour l’assassinat de Melchior Ndadaye et ses collaborateurs.

Le film des tristes événements de la folle nuit du 20 octobre 1993 et les actes de génocide contre les Tutsi, qui ont suivi l’assassinat du président Ndadaye le lendemain, se trouve dans le rapport final de la Commission d’Enquête Internationale des Nations Unies pour le Burundi (S/1996/682), publié à New York le 23 juillet 1996.

 

Par Kiradodora

 

 

 

 

 

 

 

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